
C) Internet, source du développement du piratage, et déclencheur du déclin du disque
Le piratage de musique est apparu dans les années 1990, mais il s’est massivement développé à la fin des années 90, avec l’apparition des graveurs CD, le développement des connexions internet dans les foyers et l'apparition du mp3. A partir de 1997 et la mise en vente des graveurs de CD grand publics, les copies de CD se sont répandues massivement. On emprunte le CD de son collègue, de son proche, de son camarade, et le disque est dupliqué sans fin à destination du grand public, à l’aide d’un graveur de CD à moins de 3000 francs, et d’un CD vierge à 20 francs, soit 100 de moins qu’un disque acheté chez un disquaire. Cela permet de faire de belles économies pour un fan de musique qui souhaite élargir sa bibliothèque musicale.
Le résultat: les copies représentent, en France en 1999, 10% des albums et 15% des singles vendus, soit l’équivalent de plus des 20 millions de CD illégaux.
« A cette époque, les cibles privilégiées sont les adolescents, entre 14 et 18 ans, plutôt aisés, qui doivent partager leur argent de poche entre Zara, H&M, Justin Timberlake, New Balance et Britney Spears. Mais cette génération n’acceptera jamais de payer 99 centimes pour le téléchargement d’une chanson, sous prétexte d’un prix trop élevé. Mais leurs New Balance à 100 euros ne sont-elles pas chères, elles? » (Benjamin Petrover- Ils ont tué mon disque).
L’achat de musique immatérielle n’a aucune valeur aux yeux des adolescents. Une génération à laquelle il est, aujourd’hui, très difficile de faire comprendre que la musique s'achète et de faire passer à des offres payantes. C’est une génération née avec Internet. Habiles avec un ordinateur, il leur suffit d’un graveur de CD et le tour est joué. La contrefaçon de CD devient un business très profitable dans le monde. En tout, 500 millions de CD illicites sont vendus dans le monde en 2000. En 2002, apogée du piratage et de la copie, 40% des disques vendus sont des copies, soit plus de un milliard de CD. Des réseaux de piratage de CD sont démantelés par la police, comme en Espagne en janvier 2003 (plus de 250 000 CD saisis par la police espagnole). Mais avec l’arrivée d’internet et des sites de téléchargement, on entre dans une nouvelle dimension du piratage. Le piratage devient incontrôlable. Napster est l'exemple le plus parlant de cette génération de pirates. Ce site de téléchargement de musique, créé par un étudiant de l’université de Boston, Shawn Fanning, et son ami Sean Parker, apparaît en juin 1999. Le logiciel repose sur le partage de musique par internet. Chaque utilisateur peut avoir accès à la liste des chansons que les autres utilisateurs possèdent, et les télécharger, sans limites. C’est le principe du peer-to-peer (P-2-P), qui permet à des ordinateurs d’échanger des fichiers entre eux. Il n’y a plus aucune notion de droits d’auteurs et de propriété intellectuelle. Ces deux étudiants deviennent le symbole du pillage musical mondial.
Avec Napster, l’adolescent comme l’adulte, assis derrière son ordinateur, à accès à ses contenus préférés sans aucunes limites. Plus besoin de dépenser son argent, ni à la Fnac, ni sur les sites de téléchargement. Conséquence prévisible de ce phénomène: Mis à part la France, qui est un marché quelque peu différent des autres, le marché mondial de la vente de singles et d’albums chute vertigineusement. D’autres sites basés sur le peer-to-peer se développent, comme Kazaa. A son apogée, au début de l'année 2001, Napster comptait 1,6 millions d’utilisateurs simultanés, qui s’échangaient jusqu’à 3 milliards de titres par mois. En juillet 2001, après un procès très médiatisé, le site est condamné à fermer.
Ce que les professionnels du monde de la musique n'ont pas compris à cette époque, c’est que le public n’accordait aucune importance au CD. Evoluer vers des supports immatériels et les fichiers mp3 ne le dérangeait pas plus que ça. Ce que le public souhaitait, c'était avant tout écouter de la musique, à un moindre coût et quel qu’en soit le support. C’est à cette époque que le monde de la musique a pris peur. En 1999, une quarantaine de procès ont lieu contre des pirates. Dans la presse et dans les rues se répandent des affiches qui préviennent: copier un album et le revendre à une tierce personne est illégal et passible d’une amende de 1 million de francs ainsi que de deux ans d’emprisonnement.
Mais il est impossible d’arrêter tous les fraudeurs, dont le nombre ne cesse d’augmenter. Le téléchargement devenu illégal et les poursuites judiciaires étant plus récurrentes, c’est à ce moment que se développent les premiers sites de streaming. L’internaute n’est plus condamnable puisqu’il n’existe plus aucune trace d’un quelconque téléchargement illégal ou piratage. Mais le véritable coup de grâce arrive fin 2002 avec l’apparition de l’internet haut débit. Le piratage, avant, se résumait à quelques millions de geeks. En 2003, avec le haut débit, le piratage devient universel. Jeunes comme vieux téléchargent leurs morceaux préférés, qui ne mettent plus que quelques secondes avant de pouvoir être écoutés. Conséquence: après une année 2002 étonnamment convaincante, à près de 125 millions de CD vendus, les ventes chutent violemment de 5,7%.
En 2002, Wanadoo, principal fournisseur d’accès internet, prétend dans sa publicité pouvoir offrir au consommateur un débit capable de télécharger 1000 musiques en 24 heures pour 45 euros par mois. Cependant, télécharger est synonyme de pirater, car en 2002, les offres de téléchargement légal donc payant sont inexistantes ou presque. Les professionnels de la musique voient donc cette campagne publicitaire comme une incitation au téléchargement illégal grand public.
Le nombre de foyers abonnés au haut débit triple entre 2004 et 2008, passant de 6 millions en 2004, à 17,7 millions en 2008, soit autant d’utilisateurs qui se tournent vers le peer-to-peer. Après plusieurs batailles juridiques et de multiples campagnes publicitaires, le gouvernement décide de créer, en 2008, Hadopi. Mais entre-temps, les dégâts sont lourds. Entre l’appel des artistes aux pouvoirs publics, lors de la cérémonie des Victoires de la musique en 2002, et la création d’Hadopi en 2008, le marché de l’écoute physique (vente de CD) passe de 1,3 milliard d’euros à 530 millions d’euros, soit une chute de 60% du marché en six ans. La création d’Hadopi se fait en deux temps, et grâce à la détermination d’un homme, Nicolas Sarkozy. La création d'Hadopi commence en 2004, quand Nicolas Sarkozy, alors ministre des finances sous Jacques Chirac, convoque les principaux fournisseurs d’accès à l’internet ainsi que les représentants des deux syndicats du disque: le SNEP, qui représente les majors, et l’UPFI, qui se range aux côtés des indépendants. A l’issue de cette journée, une charte est signée par les fournisseurs d’accès au haut débit qui s’engage à sensibiliser les clients au sujet de la piraterie numérique et à participer à la suppression des contenus qui leur sont signalés. Plusieurs projets de loi prennent naissance sans jamais aboutir, jusqu’au 16 mai 2007, où Nicolas Sarkozy devient président de la république. La protection du monde artistique, comme il l’a montré dans sa campagne, est un sujet qui lui tient à cœur. L’idée d’une autorité administrative chargée de prévenir les pirates puis de les sanctionner, s’il y a récidive, est envisagée. Ce concept s’appuie sur celui observé aux Etats-Unis. D’après une enquête, grâce à ce système, 70% des pirates arrêtent après la première lettre d’avertissement, 50% des restants arrêtent après la deuxième. Et sur les 15% qu’il reste, 80% arrêtent lorsqu’ils sont convoqués. Il reste donc seulement 2% à punir. Le 12 mai 2009, le texte de création d’Hadopi est voté par l’assemblée nationale. Mais la création d’Hadopi est désapprouvée par le conseil constitutionnel. Le 15 septembre 2009, Hadopi naît dans la tension qui a divisé les politiques tout au long de sa création.
Aujourd’hui, si le piratage a fortement reculé, même s’il existe encore, c’est en grande partie grâce à l’apparition des plateformes musicales. En effet, selon Ludovic Pouilly, le prix d’un abonnement à un service de streaming musical, même si cela a un coût, serait bien moins important que le coût que représenterait le temps nécessaire au téléchargement des nombreux titres écoutés en un clic sur un service de streaming musical par abonnement. Il ne serait donc plus bénéfique au consommateur de télécharger sa musique.


