
C) Des changements pour les distributeurs
3.1. Un séisme interne du marché qui met à mal de nombreux distributeurs
Le marché de la musique, que l’on pensait stable, a connu une crise majeure dans le début du XXIème siècle. En effet, le marché a perdu près de 62% de sa valeur en passant de 1.3 milliard d’euros en 2002 à 493 millions en 2013 selon un article d’Alain Beuve-Mery paru le 03 février 2014 dans le journal Le Monde. Comme toute crise, cela a entrainé des licenciements massifs, une baisse de production ainsi qu’un climat morose sur le marché. Ces pertes d’emplois concernent à la fois les maisons de disques, mais également les distributeurs, chargés de la commercialisation et la vente de l’œuvre. Ainsi, des chaines spécialisées dans la vente de disques ont purement et simplement disparu de la carte. Hormis les nombreux disquaires qui ont dû stopper leurs activités, la faillite de la chaine mondiale Virgin Megastore restant l’exemple le plus frappant.
L’enseigne, lancée en 1998 et que l’on qualifiait de révolutionnaire, avait pour but de commercialiser des biens culturels comme le CD ou le livre. Après avoir pourtant connu un succès phénoménal à ses débuts, l’entreprise tomba petit à petit dans une longue descente aux Enfers. En effet, Virgin Megastore n’a pas su s’adapter à une concurrence tournée vers la numérisation de la musique. Cette chaine, anciennement filière de l’empire Virgin du milliardaire britannique Richard Branson, est en crise depuis 2008. Le coût trop élevé des loyers des différentes boutiques dans les centre-ville, la chute du marché des CD (qui étaient pourtant les produits phares de la boutique) ont précipité la chute. L’arrivée du numérique a rendu le business-model de l’entreprise complètement obsolète. Le 9 janvier 2013, l’entreprise dépose le bilan, ce qui signifie qu’elle est dans l’incapacité de rembourser ses créanciers, et a donc été liquidé. Les 26 magasins restants dans l’Hexagone en 2013 ferment lentement les uns après les autres. Dans un dernier coup de poker sans réel espoir, la marque ouvre ses portes au public le 14 mai 2013 pour brader la totalité des rayons. Tout doit disparaître selon le comité de direction. Une frénésie s’empare des clients qui profitent d’offres à -50% pour faire des réserves afin de revendre les produits plus tard à leur réel prix de marché. En effet, des produits coûteux se retrouvent à des prix dérisoires à l’image de ces Ipads neufs vendus autour de 250 euros Ce phénomène à l’échelle nationale a été qualifié de « solde de la honte ». En effet, ce déstockage massif n’a pas laissé indifférent et a même provoqué la colère des salariés, épaulés de leurs syndicats, tout en faisant la Une des journaux. Certains vont même jusqu’à occuper les locaux. Le 12 juin, le rideau du Virgin des Champs-Elysées est définitivement baissé comme celui des 25 autres magasins. C’est la fin d’un symbole d’une époque, d’un produit culturel (en particulier le CD) qui ne se vend plus.
De même à l’étranger, la légendaire chaine de supermarchés musicaux Tower Records ferme ses 89 magasins, laissant ainsi près de 3000 employés sur le trottoir.
Toutefois, certains gros vendeurs parviennent encore à poursuivre leurs activités dans la musique comme par exemple la Fnac. Grand vendeur de CD en quantité, l’entreprise a dû revoir son modèle pour ne pas finir comme son concurrent anglais. Elle a donc décidé de ne pas se cantonner à un produit particulier, mais à se diversifier. Ainsi, l’enseigne vend en magasins des CD et des vinyles, organise de nombreux festivals, concerts, vend des fichiers MP3 comme Itunes, et plus récemment, la Fnac a ouvert un service de streaming Fnac Jukebox, qui se distingue par un abonnement de bas prix à seulement 2 euros par mois sans offre gratuite. L’entreprise se développe également fortement par la mise en vente d’accessoires. Les casques, les oreillettes, les enceintes sont devenues des phénomènes de mode qui attirent les clients malgré des prix parfois très élevés, à l’image de ces casques vendus à près de 300 euros l’unité. Fnac a su donc faire évoluer son offre au consommateur qui n’est plus tout à fait la même. La FNAC a ainsi réussi en 2014 à stabiliser son chiffre d’affaires annuel, à 3,9 milliards d’euros, une première après quatre années d’affilée de baisse.
3.2 Un oligopole davantage concentré avec un petit nombre de distributeurs et éditeurs de services.
En début d’année 2013, la ministre de la Culture de l’époque, Aurélie Filippetti, dénonce sur les ondes radios « la concurrence déloyale » dont font preuve Apple et plus particulièrement Amazon auprès des autres distributeurs. En effet, cette dernière a longtemps été accusée à juste raison d’optimisation fiscale à grande ampleur. En effet, par un complexe montage financier, la firme transnationale parvient à ne pas payer des impôts dans de nombreux pays à la hauteur de son chiffre d’affaire. L’ancienne ministre, révoltée, a condamné ouvertement ces pratiques qu’elle juge : « destructrices d'emploi, destructrices de culture, destructrices de lien social, parce que faire mourir les disquaires et les petites librairies dans le centre-ville, c'est une catastrophe. » En effet, Amazon n’a pas tenu des promesses de création d’emplois qu’elle devait faire suite à un contrat avec l’Etat.
Ainsi, ce géant mondial a su malgré les critiques, devenir un des plus gros distributeurs de musiques physiques du monde. Fort d’une renommée sans limites, Amazon est rapidement devenu le second plus grand distributeur de musique après Itunes. La société possédait en effet près de 22% des parts du marché en Grande Bretagne, là où Itunes en détient 29%.
Données de BPI (Bibliothèque Publique d’Information) publiées en 2014
Mais Amazon, à l’instar de ces principaux concurrents, ne compte pas s’arrêter là. Cela se traduit notamment par le lancement d’une plateforme de streaming musicale Prime Music. Toutefois, la plateforme ne propose qu’un million de morceau, ce qui est peu comparé à ses concurrents comme Spotify ou Apple qui proposent près d’une vingtaine de millions d’œuvres audio. Ce décalage est en partie dû à l’absence d’accords entre Amazon et la maison de disques Universal Music, pourtant leader du marché.
Cet exemple d’Amazon montre bien l’intérêt que portent les géants du Net sur les plateformes de streaming. Celles-ci représentent le principal bouleversement qu’ont connu les distributeurs avec l’arrivée de ce que l’on pourrait qualifier d’éditeurs de services. Ceux-ci sont les fruits de la révolution du numérique qu’a connu le secteur. Initié à l’origine par Spotify et Deezer, ce phénomène a vite attiré les convoitises, à l’image des cadors comme Apple, Google et Amazon qui se lancent également dans le secteur, malgré un certain retard vite rattrapé par des moyens financiers incommensurables. Les distributeurs, afin de réaliser un profit maximal, doivent à la fois continuer à approvisionner le marché de musiques physiques, qui sont encore loin d’être délaissées par les consommateurs, mais aussi proposer encore un service de téléchargement de fichiers MP3 comme Itunes Store avant de surtout suivre le mouvement actuel du marché qui semble se tourner vers le streaming musical. Le marché se retrouve ainsi concentré en un nombre limité d’acteurs possédant chacun un fort pouvoir de marché, laissant ainsi peu de place à de nouveaux distributeurs dans cet oligopole.

